Vous avez écrit « Service Compris » en 1986 qui fut un véritable succès (500 000 exemplaires vendus). Depuis 25 ans, quels progrès avez-vous constaté dans les stratégies de services des entreprises françaises ?

Il est vrai qu’à l’époque de la sortie de « Service compris » il y a 25 ans, la France accusait un véritable retard par rapport aux Etats-Unis dans de très nombreux domaines, notamment en matière de service client. Le Service était un déficit français. Les choses ont changé depuis, et les entreprises ont fait le maximum pour se remettre en cause et s’adapter aux attentes du client. Seul problème, le client d’aujourd’hui est pratiquement méconnaissable tant il a changé dans ses comportements d’achat et dans son attitude vis-à-vis des entreprises. Et je constate, en tant que client moi-même et en tant qu’expert, qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire !

J’aime bien citer ce dont j’ai été témoin il y a quelques années alors que j’intervenais à Londres dans un forum sur la qualité de service devant un millier de participants du monde entier. Juste avant moi, un prestigieux intervenant en la personne de Michael Eisner, le patron américain de Disney qui, il y a plus de quinze ans, a doté la France du premier parc Disneyland en Europe et l’a installé près de Paris à Marne-la Vallée. Première question du journaliste anglais en charge d’animer la conférence : « Monsieur Eisner, mais quelle idée d’installer un parc Disney en France alors que tout le monde sait bien que la France et le service client, c’est un oxymore ! ». Fou rire dans la salle. Un rapide coup d’œil dans le dictionnaire m’a donné l’explication : un oxymore est la réunion de deux mots aux sens opposés. Sympa pour nous !

Il n’en reste pas moins vrai que les entreprises françaises accusent toujours un retard en matière de services par rapport à leurs concurrents étrangers. Chaque fois que cette question m’est posée lors des nombreuses conférences publiques où j’interviens en France, j’ai toujours pour habitude de me réfugier derrière les excuses liées à notre culture latine, à l’étymologie qui identifie l’origine du mot « service » dans la racine latine « servus » qui signifie esclave. Il semblerait ainsi que l’on adore « rendre service » mais que l’on déteste « être au service », etc. Tout un tas de belles raisons bien pratiques pour justifier notre incompétence légendaire en la matière.

Et récemment, je me suis dit qu’il fallait arrêter de nous raconter des histoires. Si nous en sommes là et que certaines entreprises ne progressent pas plus, c’est tout simplement parce que, malgré leurs beaux discours, le service ne fait pas partie des priorités des dirigeants français. Il est tout de même extraordinaire que lorsqu’un patron annonce qu’il va améliorer sa rentabilité de 5%, augmenter son chiffre d’affaires de 10% ou réduire ses effectifs de 15%, il s’en fait un objectif, établit des priorités, met en place un plan d’actions et souvent y parvient. Pourquoi n’en est-il pas de même en matière de satisfaction client ? La réponse est simple : les dirigeants n’en ont pas suffisamment envie.

Des progrès, je ne sais pas. Je parlerais plus volontiers d’évolutions contrastées. Mon parcours d’entrepreneur avec la création de la chaîne « Columbus Café » a fait que pendant les années 1998-2005, j’étais moins impliqué dans le domaine du service client. En y revenant début 2005, j’ai été frappé de voir à quel point le mot service client était dans toutes les bouches et dans tous les discours, mais pas toujours dans les actes. Ce qui a pu me faire dire que le service est aux entreprises ce que le sexe est aux adolescents : ils en parlent tout le temps, ils ne pensent qu’à ça. Mais peu le font vraiment. Et quand ils finissent par le faire, ce n’est pas génial. Les ados ont des excuses, les entreprises de moins en moins…

Avec la déferlante des nouvelles technologies et du low-cost qui lui est souvent associé, le service n’est plus une posture pour être aimable ou souriant avec le client mais une véritable manière de se différencier en en donnant plus. Dans les périodes difficiles, ce sont les extrêmes qui triomphent : il s’agit d’être le meilleur ou le moins cher.

Autre constat : les Excellents d’hier deviennent simplement bons. L’anecdote qui ouvre mon récent ouvrage « Service gagnant » est, à ce titre, éloquente. J’y décris par le menu les déboires rencontrés en tant que client de Darty qui faisait office de référence en matière de services à mes débuts, et le service plus que parfait (effet Wow) rendu par un Centre des Impôts. Proprement inimaginable il y a 25 ans, ce décalage entre les services publics et les entreprises est en train d’inverser les tendances. A ce titre, certains guichetiers de La Poste pourraient donner des leçons de courtoisie et d’amabilité à certaines entreprises qui opèrent dans le secteur du luxe, de la banque ou des nouvelles technologies.

En résumé, ce qui me frappe le plus dans la situation actuelle du service en France, c’est le fait que certaines entreprises publiques ont véritablement opéré une révolution alors que d’autres entreprises qui opèrent dans un univers archi concurrentiel se contentent de gérer leurs acquis.

Pire encore, en ayant recours à d’innombrables sous-traitants, prestataires offshore et autres externalisations, le service est devenu un « coût à maitriser » et non plus une arme stratégique sur laquelle investir. Certains réveils risquent de s’avérer douloureux tant le client n’est plus dupe de cette façon de se débarrasser de lui. Dis-moi avec qui traitent tes clients, et je te dirai quelle place occupe véritablement le service client dans ton entreprise.

Que pensez-vous de l’idée : « Best service is no service » ?

Cette idée qui s’inspire du livre de Bill Price et David Jaffe est effectivement un concept que je trouve tout-à-fait intéressant et que l’on pourrait traduire par « Le meilleur service, c’est quand il n’y en a pas ». En gros, le principe est le suivant : si le client ressent le besoin de vous contacter ou d’interagir avec votre entreprise (par tél, mail ou en face-à-face), c’est que vous avez mal conçu votre service et qu’il n’a pas été en mesure de se débrouiller tout seul. Le client n’a pas un besoin irrépressible de faire appel à un service client, s’il le fait, c’est parce qu’il n’a pas d’autre choix et tout cela parce que votre système n’est pas assez sophistiqué ou astucieux pour lui permettre de se débrouiller tout seul.

Mon sentiment est que tout cela est probablement vrai dans l’univers du e-commerce (ou m-commerce) qui met en avant la facilité d’utilisation et le besoin de « self-care » (je me débrouille mieux par moi-même qu’avec l’aide de quelqu’un !). N’oublions pas que les auteurs ont fait leurs armes chez Amazon…En revanche, j’ai quelques doutes lorsque l’on revient dans l’univers du commerce physique. Dans ce contexte, tout doit être fait pour aider le client à s’orienter, à comprendre l’offre et à obtenir des réponses à ses questions, s’il le souhaite.
En matière de service client, le seul concept qui, d’après moi, vaille aujourd’hui pour le client, c’est « où je veux, comme je veux et quand je veux ». C’est le même qui à certains moments ou dans certains contextes va préférer un système très bien fait où il se gère lui-même sans interaction humaine. Et qui ensuite va changer de statut pour devenir très demandeur en termes de service et d’assistance. Les entreprises doivent donc être polyvalentes, donner le choix et être en permanence en mesure de s’adapter aux attentes de ce client de plus en plus insaisissable.

Le meilleur exemple pour moi est le nouveau magasin Nespresso près de la Madeleine à Paris qui permet au client de se servir lui-même en capsules, de payer et de partir sans avoir échangé un mot avec un être humain ou bien de commander sur Internet et de venir récupérer ses achats en magasin sans faire la queue (le meilleur des deux mondes) ou encore en allant au comptoir traditionnel en se faisant conseiller par le Spécialiste Café (quitte à parfois patienter un peu dans une file d’attente). Le même produit, des façons différentes d’y accéder et le même objectif d’être une référence en matière d’expérience client.

Les nouveaux médias bouleversent la pratique de la relation client. Quels sont les 3 conseils concrets que vous pourriez donner à un Directeur de la Relation Client pour anticiper ces évolutions ?

1er conseil : commencer par vivre ces médias de l’intérieur en étant lui-même utilisateur et en les fréquentant régulièrement. Tant qu’un directeur d’hôtel n’a pas passé une nuit dans une chambre et n’a pas été client des différents services proposés par son établissement (de façon anonyme, bien entendu), il ne pourra jamais véritablement se rendre compte de l’expérience que vont vivre ses clients. Il en va de même pour les nouveaux réseaux sociaux qui sont de nouvelles façons d’interagir avec les clients.

Il faut bien reconnaître qu’avec l’explosion d’Internet, la puissance de la parole du client dépasse souvent la parole de l’entreprise. En tapant dans Google le nom de n’importe quel hôtel dans le monde, vous verrez d’abord apparaître le site qui répertorie l’avis des clients avant de pouvoir cliquer sur le site de l’hôtel. En tapant dans ce même moteur de recherche le nom d’une compagnie d’assurance française qui investit beaucoup dans une campagne publicitaire assez hermétique au commun des mortels, le premier site qui apparaît est le blog d’un internaute qui critique ouvertement ces pubs. Il faut donc être partout là où se trouve le client et développer avec lui un lien plus direct, plus rapide et moins formel.

Si je peux me permettre un 2ème conseil, ce serait de s’occuper de ces nouveaux médias de manière professionnelle. De nombreuses entreprises n’ont pas encore créé le poste de « community manager » et c’est un stagiaire qui s’en occupe ou, pire, une assistante qui gère cela quand elle a le temps. On n’imagine pas un centre de service clients s’occuper de traiter les mails quand il n’y a plus d’appels téléphoniques. Et pourtant, c’est un peu ce que l’on fait en procédant de la sorte. Gérer la présence d’une entreprise sur ces nouveaux médias est un métier, contrôler ce qui se dit sur nous doit être une préoccupation quotidienne et le cas échéant, répondre ou entamer le dialogue doit se faire en respectant un certain nombre de codes et de règles. Bien entendu, les marques doivent être présentes sur ces nouveaux réseaux en respectant leur culture, leur notoriété et leur image.

Enfin, le 3ème et dernier conseil serait plutôt une mise en garde : c’est génial de concevoir une nouvelle plateforme d’échange sur Twitter ou de compter des centaines des milliers de fans sur Facebook, mais il ne faut pas négliger pour autant les modes de contact traditionnels. Toute cette énergie dépensée sur des nouveaux médias qui certes sont en progression constante fait parfois négliger les bons vieux médias traditionnels (le téléphone, par exemple ou le courrier) qui sont encore utilisés par l’écrasante majorité de vos clients. Je me méfie de ces jeunes directeurs de la relation client tout fiers de montrer à leur patron (qui n’y comprend pas toujours grand-chose…) les technologies mises en œuvre pour être dans la tendance, et qui dans le même temps négligent la formation des téléconseillers ou serrent tellement les budgets des prestataires que la qualité du contact avec les clients se détériore à la vitesse grand v. Très sympa de faire le kéké sur Twitter, encore faut-il d’abord et avant tout être au top dans les médias traditionnels. Ne pas être admirable pour 5% à 10% des clients et à peine correct pour les 90% restants.

Abonnez-vous à notre newsletter et restez connecté(e) à l'Expérience Client

Abonnez-vous à notre newsletter et restez connecté(e) à l'Expérience Client

Retrouvez tous les mois les dernières actualités du Design & Management de l'Expérience Client

Merci ! Votre inscription est bien prise en compte.

Subscribe To Our Newsletter

Subscribe To Our Newsletter

Join our mailing list to receive the latest news and updates from our team.

You have Successfully Subscribed!

Share This